Employeurs / Salariés : à vos marques, prêts ? enregistrez !


Posté le 8 février 2024 dans Publications

Par un arrêt très attendu rendu le 22 décembre 2023, la Cour de Cassation française dans sa formation plénière, la plus importante, est venue opérer un important revirement de jurisprudence concernant la recevabilité de preuves a priori illicites dans le cadre de procédures judiciaires devant les juridictions civiles.
Dans cette affaire (n°20-20.648), un salarié fût licencié pour faute grave (avec effet immédiat) en raison de propos outranciers qu’il avait tenus lors d’un entretien avec les représentants de son employeur.
Les écarts de langage du salarié avaient été enregistrés, à l’insu totale de ce dernier.
La Cour d’appel ayant écarté les enregistrements retranscrits, l’employeur a décidé de former un pourvoi en cassation.
Alors que conformément à leur jurisprudence de longue date, les juridictions civiles françaises retenaient constamment qu’est irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème (cf. notamment Cass. Ass. Plénière 7 janvier 2011, n°09-14.316) la juridiction suprême a décidé de changer de cap.
En effet, l’arrêt en cause retient finalement de manière retentissante que « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats » (paragraphe 12).
Plus précisément, la Cour invite donc les juges à effectuer un véritable travail d’appréciation de l’opportunité de présentation des preuves par les parties.
Les critères à prendre en considération pour la Cour de cassation sont assez simples alors que les juges des juridictions inférieures devront dès à présent apprécier le caractère indispensable de la production des pièces, même obtenues de manière illicite ou déloyale.
Au-delà du caractère indispensable, la violation du droit de la partie à qui l’on oppose des pièces devra être « strictement proportionnée au but poursuivi ».
Cet arrêt s’inspire finalement du droit Européen qui avait déjà ouvert la brèche et permis de dire recevable une preuve illicite avec les conditions d’indispensabilité et de proportionnalité ci-avant développés (CEDH, 10 octobre 2006, n°7508/02 et CEDH, 13 mai 2008, n°65087/01).
Pour en revenir au cas d’espèce, la décision de la Cour de cassation qui a cassé la décision de la Cour d’appel renvoie donc à une autre Cour d’appel l’affaire qui devra faire l’objet d’un nouveau débat sur le fond.
Dans ce cadre, la juridiction d’appel devra donc trancher quant au caractère indispensable des enregistrements effectués par l’employeur aux fins de prouver la faute grave du salarié, le cas échéant, se prononcer quant à la proportionnalité de l’atteinte aux droits du salarié.
A notre sens, l’admission d’un tel moyen de preuve devrait nécessairement être acceptée par la Cour d’appel.
Même si a priori cette décision pourrait être assimilée à l’ouverture de la boîte de Pandore, en pratique elle semblerait intéressante à plusieurs égards.
Tout d’abord, les juges disposeront toujours de la faculté, sur base des critères énoncés, d’écarter certaines preuves.
Ensuite, même si le cas d’espèce concerne des enregistrements effectués par l’employeur, cette décision est tout à fait transposable à l’inverse.
Ainsi et nous savons à quel point il est compliqué de prouver certaines attitudes au travail (harcèlement, injures…), un salarié harcelé par son employeur pourrait tout à fait prouver de tels faits par la production d’enregistrements retranscrits, ce qui fait l’objet à l’heure actuelle de refus quasi systématiques de la part des juges.
De l’autre côté, les employeurs pourront plus facilement prouver des écarts de comportements non tolérables dans le cadre de l’entreprise.
Nous rappelons ici aussi la difficulté extrême pour un salarié au Luxembourg de prouver ou de contre-prouver des faits dans une affaire de licenciement, l’employeur ayant très souvent recours aux témoignages de ses salariés encore à son service qui eux, par peur de perdre leur emploi n’oseront jamais venir témoigner contre leur employeur en faveur du salarié, ce qui dessert très clairement la manifestation de la vérité.
Finalement, eu égard à la crainte d’être enregistré telle une épée de Damoclès, n’est-ce pas la solution pour que chaque partie ne s’ose plus aux dérives verbales ?
En miroir, cela pourrait conduire à une attitude de crainte exacerbée entre employeurs et salariés, ce qui pourrait nuire à la bonne marche de toute société tant la confiance est un pilier important.
Enfin, nul doute que cette solution sera transposable devant les juridictions luxembourgeoises parfois inspirées par la Cour de cassation française mais aussi et surtout par le droit européen et la Cour européenne des droits de l’homme qui a initié le mouvement de l’admission des preuves illicites.
Une (r)évolution est-elle en marche ?
Notre équipe est habilitée à vous renseigner à ce sujet.

Me Pascal PEUVREL Quentin GAVILLET
Avocat à la Cour Avocat


JURISLUX SARL
pascal.peuvrel@jurislux.eu


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