L’affaire des aides financières


Posté le 5 mars 2013 dans Publications

Le 26 juillet 2010, le Grand-Duché de Luxembourg votait une loi supprimant pour tous les allocations familiales à compter de 18 ans en leur substituant un système d’aides financières sous forme de prêt ou de bourse, pouvant aller jusqu’à 17.500 euros par année académique, réservées aux seuls résidents ou enfants de résidents.

Passé en force en pleines vacances d’été, sur fond de toile d’une crise économique déjà pourtant résorbée, le gouvernement luxembourgeois parvenait à faire voter cet édifiant texte de loi le 26 juillet 2010, en à peine plus d’un mois (projet de loi déposé le 11 juin 2010).

Dans le cadre des travaux préparatoires, le Conseil d’Etat rendait déjà un avis plus que mitigé concernant le projet de loi gouvernemental :

« Déférant aux désirs du gouvernement de voir la loi nouvelle appliquée à partir du 1er octobre 2010, le Conseil d’Etat n’entend pas retarder la procédure législative en soumettant le projet à l’examen exhaustif qu’il mériterait pourtant (cf. projet de loi n° 6148 appendice 1) ».

Les victimes directes de la loi du 26 juillet 2010, évidemment non désignées dans le texte de loi, sont l’ensemble des travailleurs frontaliers et leurs enfants poursuivant des études au-delà de 18 ans, puisque ceux-ci se voient privés depuis le 1er octobre 2010, non seulement des allocations familiales, mais encore et surtout, des nouvelles aides financières réservées aux seuls résidents, d’ailleurs bien plus conséquentes que les allocations familiales puisque pouvant atteindre 17.500 euros par an.

L’ensemble des frontaliers se retrouve clairement et directement discriminé par ces nouvelles mesures législatives alors qu’ils travaillent, acquittent leurs cotisations sociales et payent leurs impôts au Grand-Duché de Luxembourg au même titre que les résidents et ne sont pas logés à la même enseigne que ceux-ci, en ce qui concerne les avantages dont eux-mêmes ou leurs enfants pourraient bénéficier.

La problématique se situe en plein cœur du droit communautaire qui parait avoir été violé sous plusieurs aspects par l’Etat luxembourgeois :

Si l’on considère que les aides financières de l’Etat pour études supérieures constituent une prestation familiale, il y aurait violation du Règlement n° 883/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 29 avril 2004 qui érige notamment en principe, qu’une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l’Etat membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre état membre, comme si ceux-ci avaient résidé dans le premier état membre.

Si l’on considère que les aides financières de l’Etat pour études supérieures ne constituent pas une prestation familiale mais plutôt un avantage social, il y aurait violation du Règlement n°492/2011 (ancien Règlement no1612/68) du Parlement Européen et du Conseil qui dispose que le travailleur ressortissant d’un Etat membre, ne peut, sur le territoire des autres états membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux et qu’il a droit aux mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

Le Groupement Européen d’Intérêt Economique « Frontaliers Européens au Luxembourg » (G.E.I.E. F.E.L.), regroupant l’Association des Frontaliers Au Luxembourg (A.F.A.L.), association de droit français, et l’association de droit belge Solidarité Frontaliers Européens (S.F.E.) ainsi que les principaux syndicats luxembourgeois mirent en œuvre tous leurs efforts pour lutter contre les discriminations dont étaient victimes les travailleurs frontaliers.

Des plaintes furent déposées auprès de la Commission Européenne dès le mois de septembre 2010.

Le 6 avril 2011, la Commission envoyait une lettre de mise en demeure aux autorités luxembourgeoises, ouvrant ainsi une procédure d’infraction contre cet état membre.

A l’heure actuelle, la logique voudrait que la Commission Européenne intente un recours en manquement contre le Luxembourg.

Parallèlement à ces plaintes, les premières décisions de refus de l’Etat luxembourgeois parvinrent aux travailleurs frontaliers qui avaient sollicité pour leurs enfants le bénéfice des aides financières de l’Etat pour études supérieures.

Le CEDIES, organisme chargé de la gestion des dossiers d’aides financières pour compte du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche luxembourgeois, répond toujours encore aujourd’hui de façon laconique aux travailleurs frontaliers :

« Etant donné que vous ne séjournez pas au Grand-Duché de Luxembourg, conformément à l’article précité, il n’est pas possible au service des aides financières du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche luxembourgeois, de donner une suite favorable à votre demande et de vous accorder l’aide financière de l’état pour études supérieures ».

Les syndicats et le G.E.I.E. « Frontaliers Européens au Luxembourg » décidèrent d’épauler les frontaliers dans le cadre des recours en annulation devant être intentés devant le Tribunal Administratif de Luxembourg contre ces décisions dans les 3 mois de leur réception.

Il était notamment demandé dans ces recours au Tribunal Administratif de Luxembourg de poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne une question préjudicielle quant au fait de savoir si les règlements communautaires dont question ci-dessus, avaient été violés ou non par la loi du 26 juillet 2010.

Le 12 décembre 2011, les premiers recours des frontaliers concernant les refus d’aides financières du Luxembourg pour études supérieures motivés par une question de résidence ont été plaidés devant le Tribunal Administratif de et à Luxembourg.

Le 11 janvier 2012, le tribunal administratif de Luxembourg a décidé de poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne la question préjudicielle suivante :

« Compte tenu du principe communautaire de l’égalité de traitement énoncé par l’article 7 du règlement n°1612/68, est-ce que les considérations de politique d’éducation et de politique budgétaire mises en avant par l’Etat luxembourgeois, à savoir chercher à encourager… l’augmentation de la proportion des personnes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, actuellement insuffisante en comparaison internationale en ce qui concerne la population résidente du Luxembourg, considérations qui seraient gravement menacées si l’Etat luxembourgeois devait verser l’aide financière pour études supérieures à tout étudiant, sans lien aucun avec la société du Grand-Duché, pour effectuer ses études supérieures dans n’importe quel pays du monde, ce qui entraînerait une charge déraisonnable pour le budget de l’Etat luxembourgeois, constituent-elles des considérations au sens de la jurisprudence communautaire ci-avant citée susceptibles de justifier la différence de traitement résultant de l’obligation de résidence imposée tant aux ressortissants luxembourgeois qu’aux ressortissants d’autres Etats membres en vue d’obtenir une aide pour études supérieures ? »

Grâce à cette question préjudicielle posée au juge communautaire, l’affaire des bourses devrait progresser plus rapidement.

De plus, le 14 juin 2012, la Cour de Justice de l’Union Européenne a condamné les Pays-Bas dans un dossier similaire au dossier des aides financières luxembourgeoises (Affaire C-542/09).

La Cour a en effet décidé qu’en imposant une condition de résidence, à savoir la règle dite «des 3 ans sur 6» aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille à l’entretien desquels ils continuent de pourvoir afin de leur permettre d’obtenir le financement des études supérieures poursuivies en dehors des Pays-Bas, le Royaume des Pays-Bas avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des règles du droit communautaire.

Le 28 novembre 2012, se sont déroulées les plaidoiries devant la Cour de Justice de l’Union Européenne dans le cadre de la question préjudicielle.

En date du 7 février 2013, l’avocat général Paolo MENGOZZI a rendu ses conclusions dans le cadre de cette affaire, conclusions mitigées qui, tout en reconnaissant la discrimination opérée par la loi luxembourgeoise, déclare que le Luxembourg serait en droit d’appliquer une condition de résidence mais que le juge communautaire devra indiquer au juge national les critères pour vérifier que cette condition soit appropriée et proportionnée à l’objectif d’assurer la transition de l’économie luxembourgeoise vers une économie de la connaissance.

Les conclusions de l’avocat général ne lient pas le juge communautaire.

La décision qui sera ensuite rendue par le juge communautaire s’imposera au juge luxembourgeois.

Pascal PEUVREL

Avocat à la Cour

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